la photographie est à l’honneur au Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la Culture avec la première rétrospective
d'Henri Cartier-Bresson en Bretagne!
le parcours de près de 300 oeuvres des plus célèbres aux moins montrées, invite à la (re) découverte de cet artiste incontournable.
Photographe le plus admiré de son époque, il est photographié par de nombreux professionnels et amateurs qui croisent son chemin,
d'où cette vingtaine de portraits de lui qui ponctuent les différentes section de cette exposition, témoignant du fait qu'il
n’y a pas un seul, mais bien plusieurs Henri Cartier-Bresson.
Le jeune homme, influencé par le surréalisme, qui voyage en Afrique, en Italie et au Mexique dans la première moitié
des années 1930, n’est déjà plus le même à la fin de la décennie lorsqu’il s’engage en politique, auprès des communistes,
pour faire barrage à la montée du fascisme en Europe.
Après la Seconde Guerre mondiale, c’est encore un autre tempérament qui s’exprime lorsqu’il fonde l’agence Magnum Photos en 1947 et
s’en va, à nouveau photographier à travers le monde.
Cette expostion entierement consacrée à Henri Cartier-Bresson, est un voyage à travers le temps qui retrace l'histoire de l'oeil multifacette
mais aussi celle du du XXe siècle.
Repère 1 : Le sel du surréalisme
Durant l’été 1932, Cartier-Bresson voyage en Italie. À Milan, Florence, Sienne, Trieste ou Venise, il réalise quelques
-unes des images les plus enchantées de ses débuts. Parfaitement construite selon un motif en croix horizontal alternant avec subtilité les noirs
et les blancs, l’image témoigne de la qualité de composition à laquelle Cartier-Bresson est arrivé en quelques années de pratique
seulement. Elle montre aussi la trace profonde que la fréquentation des surréalistes a laissée sur sa façon de regarder le monde.
L’alignement des portes dont certaines sont entrouvertes et d’autres fermées, le personnage à moitié nu couché dans l’herbe,
l’énigmatique cheminée surmontée d’une sphère armillaire, tout dans cette image rappelle l’atmosphère angoissante des tableaux
de Giorgio De Chirico, que Cartier-Bresson avait découverts à la fin des années 1920 dans une galerie parisienne. Le petit filet de fumée
qui surplombe le personnage au premier plan, telle une âme s’échappant du corps, renforce encore le caractère d’inquiétante
étrangeté de cette image.
Repère 2 : L'obsession géométrique
Avant de devenir photographe, Cartier-Bresson voulait être peintre. Entre 1926 et 1928, il étudie dans l’atelier du peintre
cubiste André Lhote, un passionné de géométrie qui placeau-dessus de tout le principe du nombre d’or. De cet
enseignement, Cartier-Bresson conservera surtout une grande habileté à composer ses images. La photographie des deux
hommes prise à Marseille en 1932 en témoigne. La disposition des deux corps recompose un triangle qui part des coins
inférieurs du cadre pour se terminer en un point situé au premier tiers du bord supérieur de l’image. Cette composition n’a rien
de gratuit. Elle sert à mieux mettre en évidence une opposition entre deux personnes que tout semble séparer. Le corps
abandonné du dormeur passablement débraillé et coiffé d’une casquette au premier plan contraste ainsi mieux
avec le maintien plus strict de l’homme éveillé, en costume et chapeau, à l’arrière plan.
L’un est noir, l’autre blanc. Le premier pourrait bien être un ouvrier ou un docker, le second un bourgeois. Par cette
construction pyramidale, Cartier-Bresson proposeune représentation symbolique des rapports de classe.
Repère 3 : Instants decisifs/>
S’il est une photographie qui, dans l’oeuvre de Cartier-Bresson, illustre parfaitement la notion d’instant décisif, c’est bien celle
réalisée derrière la gare Saint-Lazare, à Paris, en 1932. Si l’image avait été prise un instant avant, le personnage principal n’aurait
pas répété, par la position de son corps, la silhouette en extension qui apparaît sur une affiche en arrière-plan. Si elle
avait été prise une seconde plus tard, le talon du sauteur serait venu brouiller son reflet dans l’eau et l’effet de dédoublement sur
lequel repose toute l’image. La notion d’instant décisif s’inscrit dans une tradition de la pensée sur l’art marquée par la fameuse
analyse du Laocoon du philosophe allemand G. E. Lessing, selon laquelle le génie de l’artiste consiste à percevoir, puis
à retranscrire, l’acmé d’une situation. L’introduction de cette philosophie dans le domaine de la photographie indique
que cette dernière a désormais gagné sa légitimité artistique.
Repère 4 : L’Espagne vivante
Lors de son voyage en Espagne, en 1933, Cartier-Bresson photographie beaucoup les enfants qui jouent dans les rues.
À Séville, il fixe l’image d’un groupe d’enfants qui s’amuse dans les ruines d’une maison éventrée. La photographie, qui sera
publiée quelques années plus tard dans L’Amour fou d’André Breton, est parfaitement représentative de sa façon de
composer à l’époque. Il repère tout d’abord un fond dont la valeur plastique lui semble intéressante en soi. C’est souvent un mur
parallèle au plan de l’image, ou un espace perspectif aux lignes graphiques marquées. Puis il attend que des personnages
viennent trouver leur place dans cet agencement de formes en ce qu’il appelle lui-même une « coalition simultanée ».
Son mode de composition est comme un petit théâtre avec un décor et des acteurs. Une part de ce qui fait la qualité
éométrique de ses images est parfaitement maîtrisée,
l’autre, sans doute la plus importante, est le produit du hasard
Repère 5 : Fou du Mexique
Au printemps 1934, Cartier-Bresson embarque pour le Mexique.
Il accompagne en tant que photographe une expédition parrainée par le musée d’Ethnographie du Trocadéro qui a
pour objectif d’étudier l’impact de la construction d’une route panaméricaine sur les populations autochtones. Bien que
la mission ait été annulée peu après son arrivée dans le pays, il décide de rester sur place. Il s’installe dans un quartier
populaire de Mexico, où il vivra chichement pendant prèsd’un an en photographiant pour les journaux locaux et pour lui.
Il a souvent raconté qu’au cours d’une fête dans une maison, il était monté dans les étages et avait découvert, en poussant
une porte, deux femmes faisant l’amour. Photographiés avec un temps de pause lent, pour percer l’obscurité de la pièce,
les deux corps sont légèrement flous et se mélangent pour n’en former qu’un seul muni de plusieurs membres.
André Pieyre de Mandiargues, l’ami écrivain de Cartier-Bresson,rebaptisera d’ailleurs cette image "L’Araignée d’amour".
Repère 6 : Le coeur à gauche
Prise à Trafalgar Square, le 12 mai 1937, le jour du couronnement
de George VI, cette photographie témoigne du très grand sensde l’observation autant que de l’humour de Cartier-Bresson.
Elle montre un homme qui a très certainement attendu la nuit entière pour conserver sa place au premier rang, mais qui,
de fatigue, a fini par s’endormir au milieu des journaux au moment du passage du cortège. Alors qu’il est spécialement
envoyé à Londres par son journal pour couvrir les cérémonies du couronnement, Cartier-Bresson fait le choix de ne jamais
photographier le roi. Sur les deux cents et quelques photographies qu’il rapporte, seule une image montre le passage du carrosse,
mais de loin. Il préfère bien davantage célébrer le peuple qui regarde, mi-fasciné, mi-amusé, le spectacle de la royauté.
Entre le peuple et le roi, Cartier-Bresson, qui travaille alors pour la presse communiste, a, sans hésitation, fait son choix.
Repère 7 : L'expérience de la guerre
Pendant la Seconde Guerre mondiale, après avoir été pendant quelques mois photographe dans l’armée française,
Cartier-Bresson est fait prisonnier en juin 1940. Il passe trois ans dans un stalag allemand avant de s’évader en 1943 et de
rejoindre la Résistance. C’est celle-ci qui, fin 1944, lui demande de réaliser un film sur un sujet qu’il connaît d’expérience
et qui constituera l’un des grands problèmes logistiques
de l’immédiate après-guerre : le retour des prisonniers.En mai-juin 1945, il est en Allemagne, accompagné
de deux cameramen américains de l’Office of War Information, pour réaliser un film qui sortira fin 1945 sous le titre Le Retour.
Tandis que ses opérateurs filment, il continue de son côté à photographier. C’est ainsi qu’à Dessau, il fixe une scène qui
existe aussi dans le film avec un léger décalage de point de vue. Elle montre une scène d’interrogatoire d’une grande intensité
dans laquelle une ancienne prisonnière reconnaît celle qui l’avait autrefois dénoncée et la frappe.
Repère 8 : Le retour
Repère 9 : Le voyage américain
Entre avril et juillet 1947, Cartier-Bresson est aux États-Unis, sur la route. De New York à Boston, en passant par Memphis,
Baton Rouge, Los Angeles, Big Sur et Detroit, il parcourt plusde 16 000 miles en voiture. Il est accompagné de l’écrivain
américain John Malcolm Brinnin. L’enjeu de cette «transcontinental adventure into serendipity» est d’élaborer
un ouvrage en commun, associant texte et images, sur le modèle du Let Us Now Praise Famous Men que Walker Evans
et James Agee avaient publié six ans plus tôt. Mais le projet n’aboutira malheureusement pas. Au cours de ce voyage,
Cartier-Bresson réalise cependant quelques-unes de ses meilleures images de l’après-guerre, comme celle
de cette vieille femme, prise le 4 juillet 1947, le jour de la fête nationale, dans les rues de Cape Cod. Ayant cassé la hampe
de son drapeau, elle se l’était attaché autour du cou et, selon le témoignage de Brinnin, parlait toute seule, à haute voix,
en pointant du doigt une personne invisible.
Repère 10 : Partition de l'Inde
En décembre 1947, Cartier-Bresson arrive à Karachi, quelques mois seulement après que le pays a accédé à l’indépendance
et s’est séparé en deux entités distinctes, l’Inde et le Pakistan.
Parmi les différents contrecoups de la partition, l’un des plus traumatisants est l’assassinat de Gandhi par un fondamentaliste
hindou le 30 janvier 1948. Cartier-Bresson avait eu une audienceauprès du Mahatma le jour même, quelques heures avant sa
mort. Dans les jours qui suivent, il photographie les différentes phases des funérailles, depuis la crémation jusqu’à la dispersion
des cendres dans le Gange. Ses images seront publiées par Life deux semaines plus tard et feront le tour du monde.
Repère 11 : La chine communiste
À la fin de l’année 1948, le magazine Life demandeà Cartier-Bresson de se rendre en Chine pour photographier
le pays, au moment où les communistes de Mao Zedong sont sur le point de ravir le pouvoir au gouvernement nationaliste
dirigé par le Kuomintang de Tchang Kaï-chek. Arrivé à Pékin en décembre, le photographe parcourt le pays. À Nankin, il fixe
l’image de la dernière séance du Parlement nationaliste. Sur le Yangzi, il assiste au passage du fleuve par les troupes communistes.
À Pékin, il photographie un paysan venu vendre ses légumes à la ville après que le marché de son village ait
fermé. Assis à une table de bois, il mange ses provisions sous l’oeil résigné d’un commerçant dont le magasin n’a pas été
réapprovisionné. L’image est une merveille de composition. Elle est construite sur une trame de lignes verticales et
horizontales qui la recompartimentent. L’ombre d’une tonnelle vient délicatement strier l’image en diagonales. Deux visages
impassibles, baignés de lumière, émergent de l’ombre.
Repère 12 : Le Paris de l'après-guerre
Repère 13 : En allemagne
En 70 ans de carrière, les images de Cartier-Bresson n’ont jamais perdu leur qualité de composition. Dans cette photographie
réalisée en 1962, tout est à sa place : les lignes de perspective se croisent harmonieusement, les rythmes gris de la chaussée,
des façades et des murs s’accordent parfaitement, les trois personnages juchés sur une borne sont disposés selon
les proportions du nombre d’or. L’image a été prise à Berlin, peu après la construction du mur qui sépare l’est de l’ouest.
Elle montre, depuis la partie occidentale de la ville, trois jeunes hommes en costumes modernes qui observent ce qui se passe
de l’autre côté du rideau de fer. Elle permet surtout de comprendre que, derrière l’impeccable géométrie, les images
de Cartier-Bresson possèdent toujours un fort contenu documentaire. Pour lui, la photographie est « la reconnaissance
simultanée, dans une fraction de seconde, d’une part de la signification d’un fait et de l’autre d’une organisation rigoureuse
des formes perçues visuellement qui expriment ce fait ».
Repère 14 : la russie du dégel
En 1954, Cartier-Bresson est le premier reporter occidental à entrer en Union soviétique depuis le début de la guerre froide.
Pour l’agence Magnum, dont Cartier-Bresson est l’un des fondateurs, c’est un grand coup. Au moment de partir,
le reportage est déjà prévendu aux plus grands journaux internationaux. Les photographies que Cartier-Bresson réalise
alors dans la capitale, mais aussi en Géorgie ou sur les bords de la Baltique, convoquent souvent le registre de la banalité.
Et pour cause, c’est précisément là que se situe l’enjeu du reportage. À l’opposé des stéréotypes véhiculés en Europe
et aux États-Unis par la propagande anticommuniste, il lui importe de montrer que les Russes sont comme tout le monde :
ils vivent, rient et dansent ensemble.
Repère 15 : l'Amérique à nouveau
À partir du début des années 1970, Cartier-Bresson, qui a désormais dépassé les soixante ans, photographie beaucoup
moins et se consacre davantage au dessin. En 1975, il inaugure la première exposition de ses dessins à la Carlton Gallery
de New York. C’est au cours de ce séjour américain qu’il réalise
cette étonnante photographie dans la prison modèle de Leesburg dans le New Jersey. Jambe tendue et poing brandi
à travers les barreaux de sa cellule, un détenu semble vouloir manifester sa colère au photographe. Parfaitement composée
et d’une grande efficacité graphique, l’image possède une très forte puissance symbolique qui permet de comprendre pourquoi
elle a été régulièrement détournée, c’est-à-dire utilisée endehors de son contexte documentaire originel. En 1999, sans
qu’aucune autorisation n’ait été demandée au photographe ni même à l’agence Magnum, et en dehors de toute logique
historique, un timbre albanais la reproduit, par exemple, pour la commémoration de l’Holocauste.
Repère 16 : la danse du photographe
Repère 17 : A Cuba
Début 1963, Cartier-Bresson est à Cuba pour le magazine américain Life. Cela fait quatre ans que Fidel Castro est au pouvoir.
Ses relations politiques avec les États-Unis se sont progressivement dégradées jusqu’à la « crise des missiles » : en octobre 1962, un avion
américain révèle que les Soviétiques construisent des rampes de lancement d’ogives nucléaires sur l’île. Seule une intense négociation
permet alors d’éviter que ce nouvel épisode de la guerre froide ne déclenche un troisième conflit mondial. Cartier-Bresson arrive à
La Havane immédiatement après cet événement. Comme il l’avait fait en Chine et en URSS, il essaye de saisir un peu du quotidien des Cubains.
Il photographie l’omniprésence du politique : les slogans propagandistes, les effigies géantes des leaders du régime, ou les
militaires en armes. Mais il montre aussi la vie dans la rue, la sensualité des Cubaines et le mouvement des corps dans la moiteur sexuée
de la ville. Ses photographies seront publiées, le 15 mars 1963, en couverture et sur huit doubles-pages du magazine Life, et accompagnées,
c’est suffisamment rare pour le souligner, d’un article écrit par le photographe lui-même.
Life, évidemment, ne retiendra que les images les plus politiques.
Repère 18 : Japon, 1965
En 1965, Cartier-Bresson séjourne plusieurs mois au Japon. Il travaille alors pour Asahi Shimbun, l’un des plus importants
quotidiens japonais et le plus engagé politiquement à gauche. Lors des funérailles shinto de l’acteur de théâtre traditionnel
Ichikawa Danjuro XI, il réalise l’une de ses images les plus intenses de la période. En son centre apparaît une banderole
verticale sur laquelle est inscrit le mot « funérailles » en japonais. Tout autour de celle-ci, cinq femmes semblent avoir
entamé une ronde rituelle dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Dans leur costume funéraire noir, seuls leurs
visages ponctuellement éclairés se détachent sur le fond sombre. De profil, de trois quarts et de face, dignes, en pleurs
ou dissimulées dans un mouchoir, ces figures du deuil deviennent autant d’idéogrammes. Elles font écho à
l’inscription centrale et expriment une gradation progressive de la douleur. L’enterrement de l’acteur kabuki devient ainsi
une magnifique leçon d’expression dramatique.
Repère 19 : La machine à tete humaine
Cartier-Bresson ne cherche pas à dénoncer ou à glorifier, ni même à expliquer le monde du travail. Ses photographies ne
montrent pas les conditions d’exploitation des usines modernes, la répétitivité du travail à la chaîne ou des archétypes de
travailleurs. C’est davantage la relation physique qui s’établit entre l’homme et la machine qui l’intéresse. Sous une forme
visuelle renouvelée, ses images rappellent certains photomontages dadaïstes ou constructivistes des années
1920-1930, dans lesquels l’ouvrier est présenté sous la forme d’un être hybride, mi-homme, mi-machine. Elles expriment
une pensée dialectique souvent développée à l’époque, autant dans les études de sociologie du travail que dans les romans
de science-fiction, selon laquelle l’homme est censé maîtriser la machine qu’il a créée, mais est, en même temps, sans cesse
aliéné par elle.
Repère 20: Mai 68
Partout où il est allé, Cartier-Bresson a aimé photographier les foules. Pour lui, comme pour beaucoup de ceux qui se sont,
à un moment ou à un autre, reconnus dans les idées du communisme, la foule incarne le pouvoir du peuple, c’est-à-dire
l’espoir révolutionnaire. L’immersion au coeur de la foule est aussi un grand plaisir jubilatoire, lors de manifestations
notamment. L’appareil rivé à l’oeil, il guette les mouvements qui font bouger les lignes, modifient les perspectives et
réorganisent les masses. Le moindre déplacement de banderole ou l’apparition d’un visage peut faire basculer l’image.
La foule est pour lui le lieu le plus stimulant pour l’exercice de la composition. Durant les décennies d’après-guerre,
très chargées en revendications sociales, il photographie régulièrement les manifestations politiques. Et même après
avoir officiellement cessé son activité de reportage, à partir des années 1970, il continuera néanmoins à photographier
régulièrement, pour le plaisir, les rassemblements populaires.
Repère 21: La société de consommation
Repère 22 : Vive la france
En France, les décennies de l’après Seconde Guerre mondiale sont marquées par une profonde mutation économique
et sociale : reconstruction du pays, développement industriel, modernisation de l’appareil de production, intensification
de l’exode rural, grands projets d’urbanisme, etc. Cartier-Bresson disait volontiers que la France était alors sortie
du XIXe siècle pour entrer de plain-pied dans le XXe. À la fin des années 1960, il décide de réaliser une grande enquête
photographique pour rendre compte de cette transformation de la société française. En 1968 et 1969, pendant plus d’un an,
il sillonne l’Hexagone en voiture et prend des milliers d’images. C’est à cette occasion, dans les halles couvertes de
Simiane-la-Rotonde, ce village des Alpes-de-Haute-Provence perché en haut d’une colline, qu’il réalise cette photographie,
chef-d’oeuvre de quiétude et d’équilibre, qui témoigne d’un mode de vie communal bientôt voué à la disparition. L’ensemble
des images réalisées lors de ce projet, dont celle-ci, seront réunies dans une exposition et un livre intitulés Vive la France.
Repère 23 : Points d'interrogation
portraits
En 1944, les éditions Braun demandent à Cartier‑Bresson de réaliser
des portraits de peintres pour de petites monographies
en préparation. C’est à cette occasion qu’il photographie les grands
peintres et écrivains français : Bonnard, Braque, Matisse, mais aussi
Éluard, Valéry, Camus, ou Sartre. Il opère à peu près toujours
de la même manière. Il se familiarise tout d’abord avec l’oeuvre
de son sujet, puis demande à le photographier dans son intimité.
Au moment d’opérer, il se fait discret, tente de se faire oublier, puis
photographie à l’économie : jamais plus d’une pellicule par portrait.
Chez Irène et Frédéric Joliot-Curie, le couple de physiciens à l’origine
de la découverte de la radioactivité artificielle, il n’a pas fini d’ouvrir
la porte qu’il a déjà trouvé ce qu’il cherchait. Ils sont là comme
deux statues pétrifiées attendant le photographe comme le
Jugement dernier. « Avec les Joliot, explique-t-il quelques années
plus tard, il y avait un panneau sur la porte “Ouvrez sans sonner”.
J’ai ouvert la porte et voilà ce que j’ai vu. J’ai tiré avant de les saluer. »
deux vies !!!
À partir de 1972, Cartier‑Bresson revient à sa passion d’enfance :
le dessin. Non pas la peinture, mais bien le dessin, ou pour être
plus précis le croquis d’après nature, comme s’il s’agissait de
rester fidèle au réel, à une certaine rapidité de saisie, et de
continuer à refuser la couleur. Il passe des heures sur le motif :
au Louvre à copier les maîtres, au Muséum d’Histoire naturelle
devant l’inquiétant ossuaire préhistorique, à sa fenêtre, ou face
à son miroir, observant le travail du temps sur son visage.
Pendant les trois dernières décennies de sa vie, il exposera aussi
ses dessins, avec ou sans ses photographies. Dans son esprit,
les deux modes d’expression étaient bien distincts :
« La photographie est, pour moi, écrit-il, l’impulsion spontanée
d’une attention visuelle perpétuelle, qui saisit l’instant et son
éternité. Le dessin, lui, par sa graphologie, élabore ce que
notre conscience a saisi de cet instant. La photo est une action
immédiate ; le dessin une méditation ».